Un défaut d’analyse
La création de l’Ecole nationale d’administration après la Libération a contribué à renforcer la toute puissance des cabinets ministériels, creusets où s’opère la fusion entre le pouvoir politique et la haute administration. L’accès à ce cercle prestigieux équivaut à une intronisation dans le plus beau des métiers : celui de conseil du Prince. Au terme d’un parcours initiatique très sélectif, véritable ascenseur social de la République, les lauréats prêtent serment à l’Etat en échange du droit de hanter à vie les allées du Pouvoir. L’énarchie est ainsi devenue au fil du temps la clé de voûte du système politique.
Le phénomène de l’Etat spectacle ne fait qu’aggraver la tendance. Chaque fois qu’un ministre est invité sur un plateau de télévision, il faut craindre le pire. Ses interlocuteurs attitrés entonnent leur antienne en préconisant de nouvelles intrusions de l’Etat dans la vie du citoyen. Une lente imprégnation des esprits peut s’opérer. Tapis dans l’ombre, les sondeurs se mettent alors en chasse. Les sondés afficheront bientôt dans les gazettes les idées qu’on leur aura soufflées et les gouvernants pourront tirer de cette radioscopie « fidèle » de l’opinion publique toutes les conclusions qui s’imposent. Il suffit ensuite de les brandir sous le nez des responsables pour « télé »guider la politique de la France.
Favoriser l’émergence de centres de recherche en politiques publiques
Comment expliquer fondamentalement les décisions qui ne donnent pas satisfaction ? Dans le processus actuel de décision, les gouvernants, accaparés par les tâches de représentation, tendent à déléguer leur pouvoir à des collaborateurs issus de la haute administration. Pour qu’il en aille autrement, il faudrait pouvoir consulter des experts indépendants de la puissance publique, dont certains pourraient s’appeler des ingénieurs en démocratie. Car c’est bien de démocratie dont il s’agit quand on cherche à améliorer le fonctionnement du système politique. Il n’y a pas lieu de s’étonner de l’absence de ces experts, indispensables pour éclairer les décideurs, puisque la fonction n’est ni reconnue, ni rémunérée. Les financements bénéficient à d’autres protagonistes.
Ces grands absents du processus de décision n’ont pas vocation à gouverner – les gouvernements dits d’experts sont un leurre – mais à présenter l’éventail des solutions possibles aux élus. Pour que les meilleurs d’entre eux puissent s’imposer dans ce domaine de compétence très particulier – la recherche de l’intérêt commun – c’est la logique du marché qui devrait prévaloir. Il faut donc qu’émergent des instituts de recherche en ingénierie législative qui ne soient pas dépendants de l’Etat, car, dans le cas contraire, ils pourraient être soupçonnés de partialité. Ils devraient donc être financés en premier lieu, tout comme les partis, au moyen de legs et de dons par le citoyen lui-même, le destinataire final.
Le processus législatif serait modifié. La commande d’une loi prendrait alors la forme d’un appel à légiférer. Le gouvernement présenterait un rapport d’opportunité et ne pourrait plus se contenter d’énoncer un vague exposé des motifs. Le premier obstacle à franchir serait de convaincre les députés de l’utilité de la nouvelle législation. La vingtaine d’instituts de recherche en ingénierie politique leur viendrait en renfort pour un coût sans commune mesure avec celui de l’actuel Sénat.
Créer une Chambre des Sages
Une haute assemblée n’en resterait pas moins nécessaire pour prévenir les possibles foucades d’une chambre unique. Elle aurait également vocation à faire bénéficier les législateurs de l’expertise des personnes étrangères au milieu politique. Ses membres seraient sélectionnés selon une procédure proche de celle en vigueur à l’Académie des sciences morales et politiques. Leur fonction serait essentiellement bénévole. Sollicités pour avis sur les projets de loi, ils disposeraient néanmoins du pouvoir de bloquer – après un vote à la majorité qualifiée – les textes dont les effets négatifs seraient trop manifestes.
Cette véritable chambre « haute » aurait par ailleurs pour mission de désigner le chef de l’Etat. Nul doute en effet qu’on trouverait en son sein l’homme ou la femme ayant toutes les qualités requises pour exercer la fonction suprême. Sorti de ses rangs, le président de la République ne risquerait pas de porter ombrage au Premier ministre. Les Français feraient l’économie d’une élection qui, outre son coût élevé, conforte le chef de l’Etat dans l’illusion que l’onction démocratique lui confère le droit de gouverner à sa guise.