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Qui est Jean Baechler ?
Jean Baechler, né à Thionville en 1937 et décédé à Draveil en août 2022, est un philosophe politique dans la tradition des grands classiques, Aristote, Locke, Montesquieu et Tocqueville. Professeur émérite de sociologie historique à la Sorbonne, membre de l’Académie des sciences morales et politique de l’Institut de France, il est le disciple le plus éminent de Raymond Aron. Son œuvre considérable, qui compte une quarantaine d’ouvrages, se caractérise par une rigueur scientifique et une qualité littéraire encore inconnues jusqu’à aujourd’hui à ce niveau d’abstraction.
Après une thèse sur Les suicides, la nouvelle référence depuis Durkheim, Jean Baechler, agrégé d’histoire, a bâti au fil des ans une théorie générale des régimes politiques. Prenant l’histoire de l’humanité dès le paléolithique comme un laboratoire, il confronte les faits confirmés par l’ethnographie, l’anthropologie et l’historiographie aux hypothèses les plus rationnelles, pulvérisant nombre d’idées reçues. Ses premiers travaux sont résumés dans une œuvre maîtresse (Démocraties, Callman-Lévy, 1984) dans laquelle, procédant à la façon de Mendeleïev pour qu’aucun élément ne lui échappe, il classifie les régimes politiques en espèces dont les caractères discriminants l’obligent, quand les outils intellectuels sont défaillants, à créer des mots et des concepts nouveaux.
Dans son Essai sur les origines sur le capitalisme (Gallimard, coll. Idées) Jean Baechler démontre pourquoi c’est bien le politique qui détermine l’économique, non l’inverse, et prend ainsi à contrepied les auteurs de référence en vogue dans les milieux intellectuels de l’époque (Marx et Saint-Simon). Parmi ses autres ouvrages les plus marquants, il convient de citer : Qu’est-ce que l’idéologie ? (Gallimard, 1971) Le Pouvoir pur (Calmann-Lévy, 1978), Esquisse d’une histoire universelle (Fayard, 2002), Précis de philosophie politique(Hermann, 2014), où se trouvent réunies l’essentiel des clés qu’il propose pour comprendre les fondations communes à la science, à la sociologie, à la philosophie et à l’histoire politique. Dans son Précis de la démocratie, rédigé en 1993 à la demande de l’Unesco, il prouve par un raisonnement étonnant de 140 pages denses et profondes que la démocratie est le régime naturel à l’espèce humaine, dont il est donc devenu possible de décrire le modèle pur et parfait. La justice apparaît ici comme la valeur centrale, car elle est le moyen par lequel la paix est possible, qui est la fin première et dernière du politique. Seules des règles justes peuvent enfanter des démocraties bien conformées.
Il faut regretter que cette œuvre monumentale, qui fera date dans l’histoire des idées, n’ait pas encore été traduite en langue anglaise, un frein manifeste aux avancées du savoir. L’un des rares grands intellectuels de notre époque vient de s’éteindre dans l’indifférence générale et dans l’ignorance même de ses propres compatriotes (…).
G.L.