Faire court sur le sujet

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A l’heure où les tensions s’aggravent dans le monde, il existe malgré tout des raisons d’espérer. Les hommes aspirent partout à la paix et la science politique progresse. Depuis que le modèle démocratique a été explicité dans toute sa rationalité, non seulement nous savons mieux gérer les affaires publiques au niveau national, mais nous disposons de clés pour infléchir le cours de l’histoire et hâter la pacification à l’échelle planétaire. La démocratie est loin d’avoir encore révélé tout son potentiel.

La problématique de la démocratie

Les scientifiques du domaine concerné doivent tout d’abord prendre acte des dernières avancées de la connaissance. Aussi étonnant que cela puisse paraître, les hommes ressentent depuis l’origine des temps qu’il existe un régime naturel à l’espèce humaine, mais ils n’avaient pas encore été capables d’en identifier la nature. Il a fallu attendre que l’histoire de l’humanité soit connue et puisse servir de laboratoire pour pouvoir en extraire la logique intrinsèque du régime démocratique. La nature humaine étant une, les problèmes sont partout identiques et les solutions ont également valeur universelle.

Le comportement humain étant conflictuel mais non programmé par la nature, les hommes trouvent d’eux-mêmes le moyen de vivre ensemble malgré toutes les raisons qu’ils auraient de s’affronter. Ils y parviennent grâce aux deux facultés qui les placent au-dessus de la chaîne du vivant : la raison et le langage – la faculté d’abstraction permettant de transcender les objets en concepts et ensuit en mots pour pouvoir mener à bien des raisonnements. Une trentaine d’années auront néanmoins été nécessaires à un institut de recherche spécialisé dans l’histoire des institutions pour mettre en lumière la rationalité du modèle démocratique et plus avant les moyens de le traduire au mieux dans le réel.

La solution consiste à confier à une autorité supérieure l’usage exclusif de la coercition. La démocratie se définit ainsi comme le régime recourant au moyen d’action propre à l’Etat seulement si c’est nécessaire. Les conflits se résolvent alors pacifiquement grâce à un adjuvent magique, le droit, au sens premier de « ce qui est juste ». Le fonctionnement de la démocratie repose ainsi sur une stricte séparation entre ce qui relève de la sphère privée et de la sphère publique. Dans la première, chacun est libre de ses choix – c’est la démocratie directe en quelque sorte – tandis que dans la seconde, les décisions sont prises par l’intermédiaire de délégués du citoyen.

L’importance du système électoral

Il reste à savoir comment c’est possible, car les citoyens sont en désaccord sur pratiquement tous les sujets. Pour prendre des décisions publiques et pouvoir ainsi gouverner, il faut d’abord trouver le moyen de dégager une majorité sur la place publique. La solution a été trouvée empiriquement. Les prémices du mode de scrutin dit majoritaire apparaissent dès le Xe siècle en Islande et dans les îles britanniques où les chefs étaient désignés par un vote à bras levés. Deux siècles plus tard, la Magna Carta rédigée en sous-main par le pape imposera le consentement préalable des citoyens au prélèvement de l’impôt. Telle est la double origine du régime parlementaire.

Le système sera corrompu à la fin du XIXe siècle par une idée qui avait toutes les apparences de la justice mais se révèlera funeste : la représentation proportionnelle. Non seulement cette procédure électorale empêche l’émergence d’une vraie majorité, mais elle fait le lit de factions radicales dont l’arrivée aux affaires peut être catastrophique (1). Le bon système électoral, un outil très sophistiqué, joue le rôle de curseur pour déterminer la dose optimum d’Etat dont un pays a besoin – la raison d’être même du débat politique. Nous n’avons toujours pas trouvé, à ce jour, de meilleur moyen d’écarter du paysage électoral les ennemis de la démocratie – les tenants du Tout-Etat – et de parvenir au juste équilibre recherché.

Le système électoral n’est pas le seul domaine où il existe un conflit d’intérêt entre gouvernés et gouvernants. Ces derniers ont une propension naturelle à croire qu’une élection sert à compter leurs partisans, mais aussi à étendre le périmètre de l’Etat – ce qui accroît leur pouvoir – à s’octroyer des compensations enviables – ce qui leur procure un métier – ou encore à penser qu’ils savent ce qu’il faut faire car ils sont élus pour cela. Autant de travers propices au clientélisme, au carriérisme et à un amateurisme trop souvent constaté dans la confection des lois. L’obligation dans laquelle les gouvernants se sont trouvés hier de fixer eux-mêmes les règles du jeu politique, faute de pouvoir faire autrement, compte pour beaucoup dans la crise des régimes démocratiques contemporains.

La maintenance du régime démocratique

La donne a changé depuis que les ressorts du bon régime sont mieux connus. Du jour où l’on peut démontrer que les règles de la démocratie ont une réalité indépendante, relèvent de la raison pure et font partie du domaine du savoir, il importe de les édicter pour qu’elles puissent être respectées. Les constituants n’ont plus besoin de faire preuve de trésor d’imagination. Non seulement la panoplie complète des outils nécessaires au fonctionnement du bon régime sont à leur disposition, mais les citoyens peuvent se doter d’autres mandataires pour poursuivre le travail constituant toujours inachevé.

La raison est double. Une constitution, pour qu’elle soit concise et compréhensible de tous, ne saurait contenir toutes les modalités du fonctionnement des organes de l’Etat. Les lois dites organiques, le troisième volet du triptyque constitutionnel, ne sont pas des lois ordinaires et font partie intégrante du système politique. Quant à la constitution elle-même, le bloc moteur du système, il doit être entretenu en permanence par des révisions toujours possibles à la marge. C’est une mission ne pouvant être confiée qu’à des Sages, appelés à siéger dans une chambre Haute au sens plein du terme.

Ces nouveaux délégués du citoyen, dont la nécessité s’est faite jour à l’expérience, ne peuvent pas être élus, car ils doivent être libres de tout engagement partisan. Leur cooptation serait sujette au phénomène de coterie. Pour les désigner, il ne reste guère que la procédure du tirage au sort au sein d’un contingent de citoyens éminents, qui seraient sélectionnés selon trois critères : les services déjà rendus à la collectivité, un sens supérieur du bien commun – la magistrature serait quasi bénévole – et leur expertise en matière de sciences morales et politiques. Ils statueront à la majorité qualifiée une fois éclairés par les experts d’un domaine très particulier : la problématique de la démocratie.

Le temps des mises aux normes

La bonne gouvernance, du ressort de l’exécutif, repose sur la prise de bonnes décisions. Plus les problèmes sont complexes, plus leur quête relève du domaine de l’expertise. Il s’agit d’identifier à la fois l’origine des problèmes, l’éventail des solutions possibles et mieux encore le rapport coût/bénéfice de chacune d’entre elles. Telle est la raison d’être première de la compétition dans l’ordre politique. C’est une capacité qui n’est pas de même nature que le pouvoir de trancher et d’imprimer la légalité à des textes de loi. La compétence des décideurs publics doit donc être requalifiée dans deux domaines : la faculté de jugement et le talent de communiquant, essentielle pour convaincre le citoyen dans un troisième temps du bien-fondé des mesures qui s’imposent – tout l’art du politique.

Ces réformes institutionnelles sont des décisions très difficiles à prendre car elles se heurtent au poids des traditions et des idées reçues. Il faudra sans doute attendre la mise en place d’un étage politique supérieur, rendu nécessaire par la mondialisation, pour que des entités plurinationales mettent leurs Etats-membres dans l’obligation de respecter les règles de la démocratie qui auront été élevées au rang de loi fondamentale. Quant aux pays candidats à la démocratie, ils pourront recevoir en guise de cadeau de bienvenue au club un modèle breveté de loi fondamentale, applicable partout moyennant quelques aménagements. Des autocrates en fin de carrière pourront même en profiter eux aussi pour laisser un souvenir positif de leur passage, ce qui fera surgir des démocraties là où on ne les attendait plus.

 

La démocratie doit retrouver tous ses attraits. Ce sera le cas quand les citoyens adhéreront aux principes fédératifs qui caractérisent le bon régime et génèrent la paix sociale au-delà même du niveau national. Les partis pourront alors jouer leur rôle. Le temps est venu pour les penseurs politiques de faire chorus et de s’accorder sur la définition du concept de démocratie. Tout porte à croire que les désaccords ne portent plus que sur des points de détail et des questions de vocabulaire. Nous devrions pouvoir le constater en réunissant un collège de docteurs en démocratie aptes à entériner ce corps de doctrine de portée universelle qu’il est devenu très difficile de réfuter. Il se dégage en filigrane des travaux du savant qui a poussé le plus loin à ce jour la synthèse des connaissances sur le sujet (2). Une fois ce premier pas franchi (3), il ne restera plus qu’à se doter d’autres moyens pour hâter la pacification planétaire (4).

 

(1) Hitler et Mussolini sont là pour en témoigner. La guerre civile espagnole n’a pas eu d’autre origine.
(2) Il s’agit de Jean Baechler (1937-2022), dont l’œuvre monumentale n’a toujours pas été traduite en anglais.
(3) Voir Pour un symposium francophone.
(4) Voir Vers un Institut mondial de la démocratie.