Un fiasco constitutionnel de plus
Nos gouvernants pensaient avoir résolu en 1958 un problème institutionnel vieux de deux siècles. Cinquante ans plus tard, le constat est sans appel : la Vème République n’a guère fait mieux que les régimes d’assemblée. Le général de Gaulle souhaitait que s’établisse une relation directe entre le chef de l’Etat et les Français. Selon lui, le pouvoir exécutif devait procéder d’un Président de la République placé au-dessus des partis. Or, cette ambition était porteuse d’une contradiction : comment être dans le même temps la figure de proue d’un mouvement politique et le représentant de tous les Français ?
Il existe bien un vice de forme. Loin de le rapprocher des citoyens, l’élection au suffrage universel du Président, creuse un fossé entre eux et lui. Les députés lui obéissent au nom de la discipline de parti, mais ils doivent assumer des choix qui ne sont pas les leurs. En cas de conflit ouvert, ils ne peuvent s’en prendre qu’à son ombre. Le chef de l’Etat révoque alors le Premier ministre. Il est coupable mais pas responsable.
Face à une société civile devenue apathique, la propagande officielle est parvenue à masquer la réalité d’une constitution dont les termes sont si contradictoires qu’elle a déjà été amendée vingt-trois fois. La Vème République apparaît au bout du compte comme un pot-pourri des systèmes politiques antérieurs. On ne saurait expliquer ce désastre institutionnel sans revenir sur le passé.
Des tares héritées de l’histoire
Si l’on analyse son mode de fonctionnement, on constate que la Vème République a hérité d’une double tare. La première d’entre elles est l’incapacité dont nous faisons preuve, depuis plus de deux siècles, de dissocier le rôle de chef de l’Etat de la fonction de chef du gouvernement. Un siècle avant la Révolution, les Britanniques avaient, en intégrant les aristocrates dans une Chambre des lords, anticiper les conditions qui permettraient de dissocier à termes le pouvoir exécutif de la personne du souverain, devenu l’incarnation de la nation.
C’est plus tard qu’est apparue la seconde cause de beaucoup de nos déboires. Tandis qu’en Grande-Bretagne deux partis s’inscrivaient durablement dans le paysage électoral et se succédaient au pouvoir, la France instituait pour des décennies un jeu de chaises musicales entre chefs de factions. Notre pays allait connaître dix-neuf de modes de scrutin différents en deux siècles, autre record mondial. L’introduction de la proportionnelle en 1920 et 1946, tout en aggravant l’émiettement des suffrages, rendit les coalitions toujours plus fragiles. La IIIème République connut ainsi 104 gouvernements en 69 ans (1871-1940) et la IVème 25 en 12 ans (1946-1958). L’absence de majorité parlementaire homogène paralysait l’exécutif.
Les assemblées anarchiques dominées par la gauche favorisaient l’émergence à droite de candidats charismatiques prompts à mobiliser les foules. La montée en puissance inéluctable des partis protestataires était inscrite dans la logique des institutions : le boulangisme sous la IIIème République, le poujadisme et le gaullisme sous la IVème et le Front national sous la Vème. Lorsqu’il stigmatisait les tares de la IIIème République, le général Boulanger pensait déjà pouvoir résoudre les problèmes par des mesures radicales : dissolution des partis, élection du président de la République au suffrage universel et mise en place de la «participation» dans les entreprises, la nécessité de restaurer la grandeur de la France étant par ailleurs mise en avant. Le général de Gaulle avait une autre stature mais, en dépit d’une apparence de changement, les choix finalement opérés n’allaient rien résoudre.
Instaurer un véritable régime parlementaire
On avait mal analysé la situation. La Vème République avait certes créé un exécutif fort, mais par un moyen indirect : l’adoption du scrutin majoritaire. A lui seul, ce changement aurait suffi pour permettre au chef du parti majoritaire de gouverner, tout en mettant en place un régime parlementaire, que, contrairement aux idées reçues, notre pays n’a jamais vraiment connu. En effet, sous les précédentes Républiques, les gouvernements répondaient à la définition du régime d’assemblée, système caractérisé par une chambre des députés toute puissante mais divisée, dont la principale fonction était de contrecarrer l’action du gouvernement.
En fait, l’Etat et le gouvernement ne sont pas de même nature. Le chef de « l’Etat » symbolise la sphère publique et incarne un ordre juridique supérieur, qui définit la nature du régime et le rôle des pouvoirs publics. Personnalité de consensus, incarnant par ailleurs la nation, il ne saurait être l’émanation d’un parti, encore moins le produit d’un affrontement électoral entre deux camps adverses.
Alors que le chef de l’Etat est un arbitre suprême, le chef du « gouvernement » incarne pour sa part, le pouvoir exécutif. Sa politique ne pouvant faire l’objet d’un consensus, il doit être soutenu par une majorité électorale issue des urnes.
Le mode de scrutin majoritaire, qui induit le bipolarisme en obligeant les grands partis à conquérir les voix du centre pour obtenir la majorité, garantit l’efficacité du pouvoir exécutif, dont le titulaire peut être remplacé à tout instant.C’est ainsi que les choix politiques peuvent l’emporter sur les questions de personnes. Pour consolider le principal acquis de la Vème République, il reste à opter pour le scrutin majoritaire à un seul tour, qui contraint chaque camp à surmonter ses divisions pour pouvoir se présenter uni devant les électeurs et générer des pouvoirs forts.